Oui, encore un billet sur l'école. Parce que je pense que l'école, l'enseignement, jouent un rôle essentiel dans la construction identitaire d'un individu et d'une société. Et parce que je ne peux pas m'empêcher de penser qu'à l'heure actuelle ce rôle, si important fût-il, est galvaudé par un système scolaire non seulement inefficace mais aussi nocif. Alors oui, j'en parle encore...
Je l'ai déjà dit : j'aimais l'école. J'aimais l'école parce que c'était un espace, un lieu, où je me sentais à ma place, dans mon élément. C'était facile, j'avais de bonnes notes, j'étais félicitée, encouragée, valorisée.
C'est en grandissant que j'ai compris que l'école était une machine à broyer les plus faibles. En fait, non, elle ne broie pas les plus faibles, elle broie seulement ceux qui font les choses autrement, qui pensent, qui réfléchissent à leur façon. Bref, elle broie ces gens qui pourraient nous être essentiels, parce que ce sont ceux qui pensent autrement qui changent vraiment les choses. Elle les broie en leur inculquant l'idée qu'ils sont plus faibles, moins forts, moins capables. Elle hiérarchise les enfants à la verticale et tout le monde trouve ça normal.
Des études ont établi qu'avant d'entrer à l'école, tous les enfants ont une estime d'eux même à peu près équivalente. Et puis, paf, les maternelles commencent leur travail de sape. Les bons élèves, les mauvais. Et l'école joue un si grand rôle dans la vie qu'il est quasi impossible de ne pas se sentir diminué dans le rôle du mauvais élève. Est-ce que c'est pas l'une des premières choses que l'on demande à un enfant "et l'école ? Ça va ?"
Noé était pour le moment épargné par tout ça. Je le savais sans vraiment le savoir.
Et puis Lilou m'a montré son "cahier de liaison" et sa "farde de travails"... Et là j'ai compris. Petit smiley rouge pour les choses qui ne sont pas comprises, vert pour les choses acquises et orange pour l'entre-deux. Heureusement, Lilou n'a que des petits bonshommes verts. Tant mieux pour elle. Elle construit son estime d'elle-même sur quelque chose qui n'a pas beaucoup de valeur, mais c'est toujours mieux que de construire ses complexes sur ces mêmes choses sans valeur... Elle n'a pas l'air malheureuse cette petite. Elle était même plutôt fière de me montrer tous ses travaux et il y en a une quantité impressionnante alors que nous ne sommes qu'en novembre. A se demander quand ces enfants ont-ils le temps de jouer, rire, s'amuser, ne rien faire, inventer, créer... Lilou est en moyenne section. L'équivalent de la deuxième maternelle dans laquelle se trouve Noé. Noé n'a jamais eu le moindre petit smiley vert. Ni rouge. Ni orange. Noé il apprend à communiquer avec ses amis et la maîtresse, en prenant la parole, s'il en a envie, lors de la réunion matinale. Ensuite, la maîtresse propose une activité. L'année passée, il y a participait si cela lui chantait et ça ne lui chantait pas souvent. Il préférait jouer avec ses amis. Cette année ça lui chante beaucoup plus souvent. Il est tellement fier de faire partie des grands, de faire des activités de grand. Il apprend, l'air de pas y toucher, à manipuler des crayons, des pinceaux, à suivre des consignes pour obtenir le résultat attendu. Puis, il mange, il fait la sieste, il joue. Et jouer ce n'est pas rien faire. Jouer c'est apprendre. Encore. Apprendre à vivre en société, apprendre à s'organiser, à se gérer, à inventer. Et puis jouer c'est aussi revoir tout ce qu'on a appris le matin, en s'amusant.
Noé a beaucoup moins de traces tangibles de ce qu'il apprend à l'école que Lilou. Heureusement, il me raconte un peu, alors je sais. Et puis la maîtresse de Noé nous raconte, quand on lui demande, où il en est. Et ça nous suffit. On sait qu'elle le connait, qu'elle a une place pour chacun des enfants de sa classe dans sa tête et qu'elle suit tout ça de près. Pas besoin de "cahier de liaison" pour noter tout ce que Noé lui raconte. Quel temps ça doit prendre de faire ça pour chaque enfant ! Alors, bien sûr, c'est agréable pour le parent de pouvoir suivre telle une souris ce que notre enfant dit et fait quand il n'est pas avec nous. Mais concrètement, je ne saisis pas à quoi ça sert et je suis effarée d'imaginer le temps perdu par la maîtresse à remplir ce "cahier de liaison".
L'année prochaine, Noé aussi aura sa "farde des travaux" et son "cahier de liaison". Noé aussi se frottera aux évaluations quotidienne. Je lui souhaite de n'avoir que de petits bonshommes verts, non pas pour pouvoir être fière de lui, parce que je pense que la valeur d'un enfant ne se mesure par à ses capacités à s'adapter à un système scolaire, mais parce que ça sera bien plus facile à vivre pour lui et que je serais soulagée. Soulagée de ne pas devoir me battre contre tout un système pour faire entendre à Noé qu'un bonhomme rouge ce n'est rien. Strictement rien. Que ça n'a pas la moindre valeur et qu'il vaut mieux que ça. Quoi qu'en fait, pour être honnête avec moi-même, il faudra tout de même que je lui dise qu'un bonhomme vert ce n'est rien, que ça n'a pas la moindre valeur... Mais ce sera moins dévastateur s'il ne me croit pas.
Peut être que Noé tombera sur une(e) instituteur(trice) ouvert, compétent, intelligent, courageux qui n'a pas peur d'aller à l'encontre du système. Peut être que notre détermination, à Vincent et à moi, à ne pas laisser le système scolaire bousiller nos enfants saura les préserver. Peut être qu'ils s'y sentiront très bien et que nous n'aurons qu'à maintenir en eux la conviction que l'intelligence ne se résume pas à une bonne note. Peut être que je fais trop de cas d'une situation pourtant inévitable et que ça risque de peser sur mes enfants...
Peut être.
En attendant, je me tiens prête, attentiste, prête au combat... Comme une louve sentant l'odeur du prédateur.
Je salue ton courage,et j'avoue que si bien lotis qu'on est pour le moment, je ne m'étais même pas encore rendue compte que ça pourrait changer pour tes enfants...grrrrrr...c'est trop con, et c'est pas juste!
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