L'arrivée à Marseille est teintée de gris. D'abord, la brume. Rare. Ensuite, le Mistral qui hurle à nos oreilles qu'il va nous rendre fou. Le froid qui pénètre nos os.
Mais surtout cette soirée entre amis. Cette même soirée que l'on fait chaque fois que l'on vient. On est tous réunis, les enfants sont tous là, tout le monde parle, crie, joue. C'est un grand brouhaha avec des éclats de rires, des éclats de voix, des "mange tes pâtes" et des "mais c'est quoi ces conneries".
Cette fois, pourtant, il y avait comme une sourdine dans les voix et dans les coeurs.
Ce bébé, d'abord, qui ne naîtra pas. Ce foetus qui le restera à jamais. Pourtant, en 5 mois, on s'était déjà habitué à sa présence, il était attendu, espéré. Ces 400 gr de promesse de vie bientôt réduite à néant à cause d'un diagnostique sans appel. Un "diagnostique". Ce mot est laid et difficile à dire tant sa réalité, quand elle ne mène pas à une chance de guérison, est laide et difficile à vivre. Bien sûr, il y aura toujours ceux-là pour dire qu'il vaut mieux le savoir maintenant que plus tard... Mais il aurait tellement mieux valu encore que tout aille bien ! Et par respect pour les parents, la soeur, les cousines, les grands parents, on s'en tiendra à ce constat. Les médecins, les psys sont tous pleins de bons conseils. Regarder ce bébé en sursis une première et une dernière fois. Lui donner un nom. Il paraît que ça aide pour le deuil. Et voilà les parents qui se retrouvent obligés de chercher un nom auquel ils ne pensaient pas encore. Y a-t-il une catégorie de nom que l'on peut donner aux enfants qui ne vivront pas ? De qui donc doivent-ils faire le deuil ? De ce foetus qu'il ne connaisse pas... de ce bébé qui n'existera pas ? L'Etat civil n'en veut même pas. Il n'apparaîtra pas sur le livret de famille. Comme si rien ne s'était passé. Et pourtant, il faut trouver un nom, vider son ventre, accoucher, pleurer, faire le deuil de cette grossesse qui n'ira pas à son terme, de ce foetus qui n'était pas fait pour ce monde. Les bébés sont faits pour naître, pas pour nous laisser le ventre vide et le coeur en creux. Oui, vraiment, il aurait tellement mieux valu que tout se passe bien.
Et puis il y a cette autre, forte et belle et courageuse qui se retrouve plantée là devant sa classe, avec pour la première fois depuis 10 ans une grosse envie de chialer, une grosse envie de partir loin et de tout laisser...Alors elle va voir sa proviseur, lui annonce qu'elle rentre chez elle sous peine d'en frapper un, se fait arrêter 10 jours par son médecin alors qu'elle ne pensait pas en être arrivée là. Celle-là qui pensait savoir gérer une classe, tantôt avec de la poigne, tantôt avec de l'humour. Celle-là qui pensait susciter du respect et qui en retirait une certaine fierté, qui faisait son métier avec la sensation de faire quelque chose de bien, de faire avancer la société, d'avoir un rôle social, certes dévalorisé et sous-payé, mais tellement important. Et puis tout ça pour quoi ? Tout ça pour qu'un minot pas bien grand les menace de sortir son arme en conseil de discipline ? Elle raconte tout ça et ce sont les larmes qui pointent, le constat d'un échec aussi et les désillusions "qu'est-ce que je peux faire, moi, avec mes pauvres menaces d'exclusions temporaires quand ils en sont à se menacer à la kalachnikov à la sortie du collège ?" Là encore, pas de conseil, rien. Juste du silence. Une drôle d'impression que nous ne sommes plus grand chose quand le monde s'emballe...
Et enfin la dernière, qui nous parle de son genou comme on parle de pas grand chose, avec malgré tout son regard qui s'évade, un peu triste. Après des mois et des mois de douleurs, et ça n'est pas fini, après des mois et des mois de rééducation difficile, elle ne sait toujours pas le plier. Elle travaille, elle s'occupe de ses deux enfants, elle continue sa vie avec sur son genou ce point d'interrogation. Pourquoi. Pourquoi tous les autres qui ont eu le même problème qu'elle, la même opération, peuvent depuis tout ce temps courir, pédaler, faire du ski, même ? Pourquoi... Et le médecin qui lui dit qu'aujourd'hui on vit très bien avec des rotules en plastique. Mais quand même, c'est son genou... Et pour détendre l'atmosphère on lui dit un peu bêtement que c'est pas comme si elle s'en servait beaucoup. Elle rit aussi, parce qu'elle est polie et rieuse et parce qu'il n'y a plus rien à faire d'autre. Mais son regard s'arrête un instant dans le vague et je sens un peu de désespoir dedans. Juste assez pour me faire mal au ventre et pour me donner envie de la prendre dans la bras. Mais j'ai trop de pudeur et je ne sais pas. Alors je reste là, comme une conne.
Devant la souffrance des gens qu'on aime, on est souvent démuni... C'est un triste constat, pas une excuse.
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