Il y a un peu plus d'une semaine, Noé a passé une journée en tête à tête avec sa grand-mère. Durant cette journée, il a fait, entre autre, un aller-retour en ferryboat, sur le Vieux-Port. A Marseille, c'est une institution. D'ailleurs, on dit pas Ferryboat, on dit feriboîte, en marseillais dans le texte. Pour Noé, ça ne change pas grand chose, ferryboat ou feriboîte, lui il parle du « petit bateau ». Depuis ce jour, il nous tanne littéralement pour « aller sur le petit bateau avec papa et avec maman, tous les trois, ensemble, avec Noé et papa et maman, sur le petit bateau, d'accord ? Après ? On va sur le petit bateau avec maman et avec papa, tous ensemble ???? » et nous de lui répondre inlassablement (non, là, je mens... lassablement, en fait) que « oui oui, on ira tous les trois sur le petit bateau, d'accord, d'accord ».
Ce grand jour a fini par arriver. On a donc garé la voiture à La Rose, où l'on a pris le métro (sinon c'est pas drôle), direction le Vieux-Port ! Tadaaaaaam ! On décide de ne pas dire tout de suite à Noé que l'on va prendre le « petit bateau » parce qu'on a quelques courses à faire et que ce serait ballot que l'on ait finalement pas le temps d'y aller, sur ce foutu petit bateau feriboîte... Mais à peine sommes-nous sortis du métro que Noé s'exclame « On va aller sur le petit bateau !!! » et nous de lui répondre, un peu décontenancés de voir qu'on ne peut pas si facilement mentir ou cacher quoi que ce soit à un enfant « oui oui, on va aller sur le petit bateau, si on a le temps, s'il n'est pas trop tard, quand on aura fini nos courses, mais d'abord on va faire les courses, puis on ira au petit bateau... » Pendant une heure, tout le Centre Bourse (équivalent du City 2, temple de la consommation made in China) de Marseille a pris connaissance du fait que nous allions, incessamment sous peu, prendre le « petit bateau ». Je pense que Noé n'a cessé de parler de ce foutu « petit bateau » que pour reprendre son souffle, à de très rares occasions. Un moment, après consultation inter-parentale de l'horloge, je finis par lui expliquer qu'il n'est pas certain que nous aurons l'occasion de prendre le « petit bateau », parce que si ça se trouve, ce sera fermé, qu'il est déjà tard, que peut être le conducteur sera rentré chez lui... Noé continue sa litanie « on va prendre le petit bateau » et nous la nôtre « oui, oui, on va voir, mais peut être que ce sera fermé ».
Sortis du Centre Bourse, en direction du Vieux-Port, sur le quai des Belges (petites références pour les Marseillais et/ou connaisseurs), Noé ne marche plus, il galope, annonant « on va au petit bateau voir si c'est fermé, bhe oui » passablement excité. Arrivant au quai d'embarcation, on constate de suite que le feriboîte est en activité, que tout va bien, qu'on pourra donc traverser le Vieux-Port en « petit bateau », que Noé sera content, que « ouf » on n'est pas de mauvais parents et on ne sera pas responsable de la plus grande désillusion de tous les temps. Noé voit le feriboîte s'approcher, on lui confirme qu'effectivement, tout va bien, qu'on pourra monter dedans et là, il se retourne vers moi, le regard noir, les yeux froncés et, le doigt accusateur pointé vers moi, me lance, en pesant chaque mot, un magistral « toi, tu m'avais dit que le petit bateau était fermé !!! » bouillonnant. Vincent et moi, évidemment, on éclate de rire. Noé, pas. On lui explique qu'on s'est trompé, qu'on croyait, mais que tout va bien, qu'on va le prendre, que « pardon », et que « tu sais, les parents ne sont pas infaillibles », qu'on ne savait pas...
Il était tellement excité, tellement heureux à l'idée de prendre le « petit bateau », tellement heureux et à la fois tellement inquiet que ce soit effectivement fermé, tellement angoissé, presque, déjà préparé à l'idée de se passer de ce qu'il attendait tellement et puis finalement surpris d'y avoir accès qu'il lui a fallu quelques secondes pour réaliser et pour gérer toutes ces émotions là, quelques secondes durant lesquelles il s'est tourné vers moi, pour m'accuser très clairement d'avoir joué avec ses émotions, entre colère et soulagement.
Et puis la tempête dans son regard s'est un peu calmée, le feriboîte s'est approché, lentement, et a accosté. Alors, on est monté dans le « petit bateau » et là, le bonheur. Il ne restait plus qu'à savourer ce bonheur de voir Noé vivre ce qu'il espérait, ce qu'il attendait, ce pour quoi il avait couru, l'objet de toute sa volonté... Un plaisir simple comme tout, un plaisir d'enfant, un plaisir merveilleux. L'aller, puis le retour... Et lui qui fixe la berge se rapprocher puis le feriboîte s'éloigner du quai, comblé... A la fois encore un peu étonné d'avoir finalement pu aller sur le « petit bateau » et à la fois encore un peu tendu, il avait presque failli ne pas pouvoir y monter...
Il est resté un temps, comme ça, entre deux eaux. Un verre de jus de raisins à la station uvale (sainte station uvale sans qui le Vieux-Port ne serait pas le Vieux-Port et nos sorties en ville n'auraient aucun sens) et un voyage en métro plus tard nous voilà de retour à la maison. Jusqu'au moment du coucher, j'ai senti que l'incertitude du plaisir à portée de main avait touché Noé profondément. Pour beaucoup, cela peut sembler idiot, sensibleries, détails... Mais moi je suis touchée de pouvoir accompagner Noé dans ce genre d'émotion là, née de toutes petites choses, mais tellement réelle pour lui, tellement importante, tellement tangible. Evidemment, je me suis demandé si on aurait du lui garder la surprise jusqu'au bout, pour lui éviter cette « angoisse ». Mais ça va à l'encontre de tout ce que je crois... Je ne veux pas mentir à Noé. A la question « on va aller sur le petit bateau ??? » je ne pouvais pas me résoudre à lui répondre « non non ». Et puis je suis persuadée qu'on ne peut et qu'on ne doit pas éviter toutes les émotions aux enfants en attendant qu'ils soient hypothétiquement prêts, un jour, à les vivre. Je suis persuadée que c'est mon rôle de maman de l'accompagner là dedans. Je suis aussi persuadée qu'on ne peut pas et qu'on ne doit pas ancrer les enfants dans le présent, sous prétexte qu'ils ne savent pas appréhender l'avenir.
Au delà de toutes ces considérations théoriques, je suis simplement heureuse d'avoir pu lui apporter ce grand bonheur-là et dans ces cas-là je me dis « qu'est-ce que c'est bon d'être une maman ! »
avec les photos sur Facebook en plus, c'est comme suivre le film de vos vacances...magnifique!
RépondreSupprimerAvec les émotions en 3D, mieux qu'au cinéma!