dimanche 25 septembre 2011

Comment elle est née

La voilà près de moi, emmaillotée dans sa couverture de naissance (et qui fut celle de Noé, aussi) et dans tout notre amour, elle dort. Paisible, calme. La voilà près de moi, tellement vivante, tellement belle... Capucine est née, et bien née... Parfaitement.

La dernière nuit de l'été s'est annoncée avec quelques contractions légères. Dans l'après-midi j'avais eu une discussion avec l'une de mes sages-femmes. Une longue discussion apaisante et tranquillisante. Elle avait su, comme toujours, trouver les mots qui soignent. Alors la journée avait pu continuer, malgré ce gynécologue se pensant omnipotent, malgré le monitoring décourageant d'invariabilité, malgré l'angoisse de l'échéance programmée.

Le soir, Vincent part donner cours et moi je m'installe devant la télévision. A la tété il y a Troy, une super production hollywoodienne. Un péplum digne de ce nom puisqu'il n'a d'intérêt que pour la mise en valeur des muscles de Brad Pitt... Et quels muscles ! Quel corps... Les contractions s'annoncent doucement. Je n'y prends pas garde. Vincent revient et je lui raconte le début du film en étalant toute ma science de la mythologie grecque. La soirée se poursuit avec toujours ces petites contractions, régulières, comme une houle légère. Je les dédaigne puisque voilà déjà un mois que cette houle m'annonce une issue qui n'arrive pas.

Il est minuit et avec la journée c'est l'été qui s'achève. Nous allons nous coucher. Tandis que mon sommeil m'envoie encore des signaux, je dors profondément. Je sais que mon corps travaille mais j'ai mieux à faire que de compter les intervalles.

A 4h00, je me tourne et me retourne dans le lit. Je ne dors plus vraiment. Je ressens cette situation comme inconfortable. 45 minutes à ce tarif me poussent à aller prendre une douche. Encore une... Je ne compte plus le nombre de douche prises au milieu de la nuit pour calmer un épisode de contractions. Je réveille Vincent : "je vais prendre une petite douche, je reviens". Lui, il sait. Moi pas.
La douche me détend et m'apaise. Assise sous le jet d'eau je constate, sans la moindre déception pourtant, que ce n'était pas un vrai travail puisque l'eau chaude a calmé mes sensations. Je rejoins Vincent qui me demande si ça va mieux. "Oui, ça va mieux" et je me couche près de lui. Je me tourne et me retourne à nouveau. Les contractions ont repris leur rythme et il faut maintenant que je les accueille en me concentrant. Vincent est là qui m'observe. Je lui ai demandé de se mettre dans mon dos, tout contre moi. Je le sens qui se retourne vers le réveil à chaque fois qu'il m'entend respirer profondément. Je lui dis "elles sont fort rapprochées, tout de même, non ?" Il me répond "oui, toutes les 3 minutes, on devrait appeler Titou". Toutes les trois minutes... Je ne pensais pas tant que ça. On appelle la sage-femme. Elle est déjà occupée chez d'autres parents et nous renvoie chez Aline, l'autre sage-femme. D'une petite voix elle répond qu'elle n'est pas de garde ce jour-là. On lui explique la situation, elle se reprend alors et nous dit de la rejoindre au plus vite à la maternité.

Il est 5h15. Je m'habille. Le pantalon - une contraction - le haut - une contraction - le pull - une contraction - les sandales - une contraction... J'entends un "ploc" dans le bas de mon ventre, comme quelque chose qui se détache. J'y prête à moitié attention.

Vincent réveille Noé. A 5h30 son réveil est difficile. Encore plongé dans ses rêves, il demande un biberon de lait de soja. On lui annonce que le bébé est en route, qu'on le conduit chez Elisarthurethomas. Il affirme qu'il va regarder des dessins animés. Je lui répond qu'il pourra faire tout ce qu'il voudra, aujourd'hui. Il est fatigué, un peu ensuqué, mais il va bien. Pendant que j'habille Noé, Vincent prépare quelques affaires. Entre les deux chaussures de Noé, je suis prise par une contraction. Elles sont de plus en plus intenses, je dois prendre le temps de les accueillir, respirer profondément par le ventre. Noé me demande "pourquoi toi tu mets pas l'autre chaussure". Je lui souffle que je vais la mettre, qu'il faut attendre un instant. Je lève la tête vers Vincent qui sourit. Je souris aussi. On est bien.

On dépose Noé dans sa famille d'accueil. Elisa est derrière la vitre, elle nous guète. Elle me parle et moi j'ai une contraction. Je lui dis "ta gueule". Avec un sourire. Enfin, je crois... On a le temps d'embrasser Noé, de lui dire "à tout à l'heure" et de le voir dans les bras de Elisa, sans trouble apparent. On part confiant.

Dans la voiture, j'indique à Vincent les moments où j'ai une contraction pour qu'il ralentisse et évite les trous. Le reste du temps, je parle, je rigole, je fais des blagues. Le reste du temps ce n'est pas beaucoup de temps... Mon corps se rappelle à moi toutes les deux minutes. J'essaye d'appliquer les conseils de respiration ample mais pliée en deux dans la voiture j'ai la sensation de ne pas avoir assez d'air, ou de ne pas avoir assez de place dans mon ventre, ou d'être trop serrée dans mon pantalon... Je ne sais pas. Je dis à Vincent, après une contraction particulièrement intense "je n'ai pas assez d'air ! J'espère que je pourrai me détendre à la maternité, que ce sera plus facile". Un moment je lui dis, toujours après une contraction, sur le ton de la plaisanterie "dis-moi, est-ce que j'avais une bonne raison de vouloir accoucher sans péridurale ?" En arrivant à proximité de l'hôpital je dis à Vincent que si cette fois on me dit que ce n'est pas la bonne, je ne comprends plus rien.

Il est 6h20 quand on arrive à la maternité. Vincent me dit qu'il reviendra chercher nos affaires quand je serai bien installée en haut. J'acquiesce. Dans les couloirs de l'hôpital, je ne sais plus par où aller, je me sens complètement désorientée, je ne reconnais rien. Vincent me rassure "t'inquiète, je sais où on est". Moi pas... Je ne sais plus du tout où je suis. Arrivée dans le couloir de la maternité je demande "où est Aline ! Elle est où Aline". Je la cherche du regard et elle apparaît. Je m'affaisse contre le mur, je respire profondément, encore une contraction. La sage-femme de l'hôpital accoure près de moi "On va vous aider à aller jusque dans la salle". "Non, il faut juste attendre que ça passe, je peux marcher seule". Aline me sourit. Elle me caresse le visage et me dit "cette fois c'est pour de bon, hein !"

J'entre dans la salle, comme poussée par l'urgence. Aline me demande comment je veux me mettre, où... Couchée, je veux me coucher, sur le côté, tout de suite. Elle m'examine. 8 centimètres de dilatation. Dans mes rêves d'accouchement, je n'ai jamais osé rêver d'arriver dilatée à 8 cm. Mais je suis déjà ailleurs, je n'entends pas, je ne comprends pas. Les contractions sont de plus en plus intenses. Aline essaye de me poser le cathéter, pour la perfusion d'antibiotique. Elle ne trouve pas ma veine, cherche, chipote, pique une fois à côté. C'est étrange mais ça m'apparaît comme une distraction bienvenue. Ensuite elle essaye d'écouter le coeur du bébé... Elle n'y arrivera jamais.Un moment, toujours affairée à chercher le coeur, j'ai envie de lui dire que "je sais qu'il va bien, je le sens, il n'y a pas de problème, occupe-toi de moi plutôt..." mais une nouvelle contraction arrive qui m'en empêche.

Vincent est là, debout, à mes côtés. Il me tient la main ou plutôt je tiens la sienne. Je serre pour le prévenir quand ça monte, et je relâche aussi vite, pour ne pas me crisper. Parfois il approche sa tête de moi pour me murmurer de souffler, de respirer, de me détendre... A plusieurs reprises je lui dis d'enlever sa tête de là. J'ai besoin de lui, j'ai tellement besoin de lui... Mais ce n'est pas par la tête que ça passe. J'ai besoin d'air et d'énergie. J'ai besoin de son énergie et quand il est trop près j'ai juste l'impression de manquer d'oxygène. De le sentir là, tout près, entièrement tourné vers moi, c'est tout ce dont j'ai besoin.

Aline s'affaire tout autour. J'aimerais qu'elle se pose près de moi mais les choses vont trop vite. Parfois elle regarde entre mes jambes, je me demande si elle voit le bébé. Je n'ose pas lui demander, je pars du principe qu'elle ne peut pas déjà voir le bébé, que c'est trop rapide. Parfois je dis que ça fait mal. Elle m'invite à plutôt dire que "c'est fort". Je répète alors après elle "c'est fort" dans une lamentation. Et de fait... Quand les mots changent, les sensations changent avec eux. Il faut qu'elle me le rappelle à chaque contraction. D'autre fois, entre les contractions, elle m'invite à me détendre en appuyant sur mon épaule. Alors je sens mon corps qui lâche prise, qui se relâche, qui s'affaisse sur la table et je respire plus calmement. Puis je lui dis que "ça pousse" et en effet je sens mon corps s'ouvrir sous l'effet d'une poussée. Elle me répond, calmement que c'est normal, que c'est le bébé qui sort. Je dis que j'ai peur que ça dure trop longtemps. Je n'entends pas la réponse d'Aline mais j'entends l'élève sage-femme qui sourit.

Ca pousse de plus en plus et cette sensation est tellement puissante que j'en perds pied à nouveau. Mon corps tremble de partout. "Pourquoi je tremble comme ça ?" - "c'est parce que c'est puissant." Je dis que j'en peux plus, que je ne vais pas y arriver, que c'est trop dur. Aline, toujours calmement, mais fermement, me demande ce que je compte faire, elle me dit que je n'ai pas le choix, qu'il n'y a pas d'autre solution, que le bébé est là. Sur le moment, je la maudis. L'élève sage-femme indique à Vincent qu'elle m'a servi un verre d'eau. C'est vrai, je meurs de soif... Mais quand il me propose de boire je lui hurle que je boirai "quand j'aurai moins mal !"

Et puis, d'un coup, je retrouve plus de calme. Entre les moments où mon corps pousse, je suis posée, calme. Aline m'invite à parler au bébé, à lui dire qu'il peut sortir. Dans les moments de calme c'est ce que je fais "sors - sors - sors..." doucement, comme une litanie. Puis, quand le corps se déchaîne, je ne lui demande plus de sortir, je l'en exhorte d'une voix animale et rauque, possédée. Et ça me fait du bien.

Un moment, je sens mon périnée s'ouvrir sous la pression. Je pense alors que c'est la tête. C'est tellement puissant que ça ne peut être QUE la tête... Et ça éclate entre mes jambes, dégouline de partout. A nouveau je panique, ma respiration s'emballe, je pleure à moitié. Aline me dit "rassure-toi, c'est la poche des eaux, c'est rien, c'est la poche des eaux" mais c'est justement ça qui me panique... C'était tellement fort, j'étais tellement persuadée de sentir la tête, que la fin était proche et d'un coup je me dis qu'on en est loin, que tout ça ce n'était que pour la poche des eaux. D'une voix autoritaire Aline me demande de retrouver ma détente... Et je replonge à nouveau dans le calme... Presque automatiquement.

Je pose alors ma main sur mon sexe, machinalement, et je sens le crâne de mon bébé... Elle est là... Je la touche encore... Aline me dit de respirer "autour de la tête". C'est ce que je fais. Je dirige mon souffle, en pensée, amplement, vers cette tête et je la visualise sortant de moi. Je ne pousse pas. Je sais que mon corps le fera pour moi. J'attends la prochaine contraction. Et la voilà qui mène mon bébé hors de moi, doucement. Le passage de la tête n'est ni douloureux ni pénible. Très consciente de toutes les sensations que je ressens, j'affirme juste, sur le ton du constat que "c'est sec". Aline répond, comme dans la confidence "oui, je sais" tandis que Vincent se demande de quoi je parle. J'entends "ça y est, la tête est passée". Aline parle au bébé "oh, tu sors ta main, déjà ?". Je me redresse pour voir le bébé sortir. Je le vois déjà entre dehors et dedans. Je le vois là. Je n'ai pas peur, je ne suis pas impressionnée. Je constate. Déjà je sens qu'il est né. La contraction d'après, presque insignifiante, termine de mener le bébé jusqu'à moi. Aline me dit "ça y est, tu peux prendre ton bébé" et c'est ce que je fais. Je le pose sur moi. C'est fini. Il est là. Je suis tentée de lui dire "pleure mon bébé, pleure" comme je l'avais fais pour la naissance de son grand frère... mais ce bébé ne pleure pas. Il parle un peu, on entend sa voix, mais il ne pleure pas. Plus tard je dis à Aline, sous forme d'interrogation "il ne pleure pas beaucoup !" et elle me répond en souriant "Pourquoi faire ? Il n'a pas besoin de pleurer". Alors je souris. Je me sens bien, on est bien.

Mes yeux se tourne alors pour la première fois vers l'horloge, juste en face de moi. 7h20. Ca ne fait qu'une heure qu'on est là. Une heure ? Est-ce que c'est possible ? Une heure... Une petite heure pour mettre au monde notre bébé... Une toute petite heure... Je me refais le film. Il y a une heure, nous arrivions à la maternité. Il y a 1h15 je blaguais dans la voiture. Il y a 1h20 nous déposions Noé dans les bras de Elisa et nous l'embrassions.

Je pense à Vincent qui n'a jamais eu le temps d'aller chercher nos affaires dans la voiture, qui est resté debout, sans avoir le temps de s'installer, tout le long, à me tenir la main. J'ai un vertige en pensant à cette heure-là... Probablement l'heure la plus intense de ma vie...

Après quelques minutes, une dizaine, peut être même une vingtaine, Aline nous fait savoir qu'elle aimerait quand même bien savoir si ce bébé est une fille ou un garçon. Tout d'un coup, Vincent et moi on se rend compte que oui, on ne sait pas... D'un coup, l'urgence se lit dans nos regards croisés. On veut savoir, tout de suite ! On regarde alors et Vincent s'exclame, les larmes aux yeux "c'est une petite Capucine".

Notre fille est née avec les premières lueurs du premier jour de l'automne. Toute seule. Personne ne l'a forcée, je n'ai même pas poussé. Elle est née. Elle est venue au monde.

Voilà comme elle est née : consciemment, intensément, calmement, sereinement, puissamment... Notre fille, Capucine.

2 commentaires:

  1. Enfaite je t'ai dit "ça t'fait pas chier d'accoucher le jour où ce gynéco à la con l'a décidé?" et c'est là que t'as souris et qu'tu m'as dit "ta gueule" :-)
    Je suis fière d'avoir accueilli Noé et d'avoir été là pendant qu'il devenait grand frère.Je suis fière d'être ton amie. Je vous aime très très très fort, vous êtes beaux et forts!VIVE CAPUCINE (je la ramène encore une fois, mais c'est qui qui savait que c'était une fille!!!!!)

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  2. Punaise Camille, quelle superbe naissance!!! Juste trop puissante, juste trop magnifique...

    Profitez maintenant tous les 4 de votre nouvelle vie et encore bienvenue Capucine!

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